Expérimentation animale et 3R (2/4): une muqueuse humaine sert de modèle
Dans le cadre d'un projet soutenu par le FNS, des scientifiques étudient comment les poumons sont infectés. Un complément à l'expérimentation animale.
Lorsque des bactéries pénètrent dans nos poumons ou notre intestin, elles interagissent physi-quement avec les cellules qui tapissent les cavités de notre corps à la manière d’une couche protectrice. Certaines bactéries nous aident à digérer mais d’autres nous rendent malades. Chercheur à l’EPFL, Alexandre Persat étudie la manière dont les bactéries reconnaissent leur environnement physique – leur sens du toucher en quelques sortes. Comprendre comment ces microbes naviguent dans notre corps peut aider à appréhender et à lutter contre les maladies infectieuses et la résistance aux antibiotiques.
Des bronches de gélatine et de cellules
Pour Alexandre Persat, le problème est que l’on ne peut pas simplement introduire un micros-cope dans un poumon humain ou un intestin de souris pour observer les bactéries qui se dé-placent parmi les cellules. Il a par conséquent développé avec ses collègues des systèmes pour cultiver des cellules souches humaines ou de souris à l’extérieur du corps. Il utilise à cet effet un petit bloc d’une sorte de gelée de moins d’un centimètre, percé d’un trou. Les cellules pous-sent sur les parois de celui-ci pour former un fin tube semblable aux muqueuses qui tapissent l’intestin ou les bronches. En reliant ce tube à un système qui injecte un liquide ou de l’air à travers le trou, le chercheur est parvenu à modéliser ce qui se produit lorsque les bactéries et les cellules humaines ou de souris se rencontrent. Il peut ainsi observer en temps réel, sous son microscope, le mouvement rythmé des cils qui tapissent la trachée ainsi que la production de mucus par les cellules pulmonaires.
Comme il n’a pas implanté de microscope dans une souris ni n’administre de médicaments aux animaux, Alexandre Persat utilise en fait une méthode de remplacement de l’expérimentation animale. Mais développer une telle méthode n’est pas son objectif premier. Il veut en fait se rap-procher le plus possible de la situation dans le corps humain. «Nous pouvons reproduire des tissus humains au lieu de faire le détour par les souris ou les cultures de cellules simples.» Il utilise des cellules humaines de donneurs, obtenues après une opération ou un décès. Un avantage dans certains cas. «Prenons le SARS-CoV-2: il infecte les humains mais pas les souris et nous devons de ce fait soit nous appuyer sur les données humaines et utiliser des tissus hu-mains, soit «humaniser» génétiquement des souris. Or, cela prend du temps et ne reproduit pas entièrement la physiologie humaine.»
Des connaissances par différentes méthodes
Alexandre Persat a malgré tout encore besoin d’animaux pour ses expériences. Il cultive ainsi des cellules dans un liquide spécial: du sérum sanguin de bovins, un produit dérivé de la pro-duction de viande. Dans le cadre de son expérience, il a aussi du euthanasier une souris pour obtenir des cellules souches. Avec ces cellules, le chercheur crée de petites sphères de tissus appelées organoïdes, qui peuvent simuler les tissus intestinaux et que l’on peut dans ce cas aussi facilement examiner au microscope. Pour une autre expérience, il a eu besoin de matière biologique provenant d’une queue de rat, disponible dans le commerce.
Bien qu’il travaille sur des méthodes alternatives, le chercheur est favorable à l’expérimentation animale. «Nous autres scientifiques dépendons des connaissance de nos collègues. Nous ne pouvons pas reproduire tous les phénomènes, en particulier pas la complexité d’un organisme entier.» Et Alexandre Persat d’ajouter: «Si le modèle murin n’est pas adéquat, il est essentiel d’en trouver d’autres plus complexes qui ressemblent davantage aux humains. Par exemple, cer-taines expériences sur la mucoviscidose, une maladie pulmonaire héréditaire, doivent être réali-sées sur des porcs.» Il est cependant convaincu que l’on peut en faire davantage pour remplacer l’expérimentation animale. «Dans le milieu scientifique, nous sommes certes tous conscients des impératifs éthiques. En pratique, nous pouvons cependant faire mieux en partageant beaucoup plus souvent nos nouvelles méthodes. »
Le FNS utilise une définition stricte des 3R
Les 3R («replace, reduce, refine») sont des principes éthiques qui guident la recherche faisant appel à des animaux. Le Centre de compétence suisse 3R et le Programme national de recherche «Advancing 3R» financent des recherches dans le but d’améliorer les méthodes à cet égard.
Pour tous les autres projets, le FNS définit strictement lesquels comptent comme des projets 3R. Il ne suffit pas d’employer des méthodes sans animaux, il faut aussi s’engager activement pour des expériences animales moins nombreuses et plus efficaces. En conséquence, environ 1 % des requêtes de financement en biologie et en médecine mettent en avant des méthodes 3R.
Alexandre Persat a satisfait aux exigences du FNS pour deux de ses projets :
- Projet 1: Bio-ingénierie d’organoïdes simulant les tissus intestinaux, 700 000 francs de 2018 à 2022. Inclus dans le financement normal du projet.
- Projet 2: Création d’un tube de tissu bronchique sur gélose, 280 000 francs de 2020 à 2023. Inclus dans le Pôle de recherche national (PRN) AntiResist.