Le pouvoir de l’auto-organisation
Grâce à ses travaux sur un nouveau type de cellules solaires, Rita Tóth a été désignée "Leading Global Thinker" par le magazine américain Foreign Policy. Par Florian Fisch
(De "Horizons" no 105, juin 2015)Pour avoir capturé l’énergie solaire dans les yeux des papillons de nuit: c’est la découverte qu’a honoré la revue américaine Foreign Policy en citant dans sa liste des 100 "Leading Global Thinkers 2014" la chimiste Rita Tóth et quatre collègues de l’Empa et de l’Université de Bâle. Distingués dans la catégorie "Innovators", ils ont suscité l’intérêt de médias tels que The Economist et Le Monde. Le comité de sélection se dit avoir été impressionné par les nouvelles cellules solaires développées par les chercheurs suisses. Elles peuvent transformer le rayonnement solaire en hydrogène, ce qui permet de stocker cette énergie lorsque l’offre dépasse la demande.
Hydrogène solaire
"Lorsque nous avons reçu la lettre de Foreign Policy, nous avons d’abord cru que
c’était un canular", glisse la chercheuse. L’équipe de l’Empa a participé à la cérémonie de remise des distinctions dans un luxueux hôtel de Washington. Rita Tóth est menue, avec des traits fins et une voix douce. Lorsqu’elle explique son travail, elle le fait paraître si ordinaire que l’on a de la peine à saisir son caractère novateur. La chercheuse reste modeste, même après avoir figuré dans le même classement que la chancelière allemande Angela Merkel (elle-même une ancienne physicienne-chimiste).
Le coeur de la nouvelle cellule solaire est constitué par une minuscule plaque de verre dont la surface a été spécialement traitée. Pour tester son efficacité,
elle est plongée dans une solution salée et illuminée par une lampe de la taille d’une
boîte à chaussure. La surface de la lame de verre donne l’impression d’avoir été poncée. En réalité, il s’agit d’une fine couche d’oxyde de fer et d’oxyde de tungstène. Les photons solaires en éjectent les électrons chargés négativement, laissant la place à des "trous" chargés positivement. La difficulté réside alors à rapidement exploiter cette situation avant que les électrons et les trous ne se recombinent entre eux. Ils faut qu’ils atteignent la surface et interagissent avec la solution salée afin de créer de l’oxygène et de l’hydrogène, un gaz susceptible d’être ensuite utilisé pour produire de l’électricité.
Les yeux du papillon
"La nouveauté de notre stratégie est liée à la structure du revêtement et à la façon
dont nous traitons la lumière", explique Rita Tóth. La lumière est piégée par de petites sphérules d’oxyde de tungstène plus petits qu’un millième de millimètre. Son
doctorant Florent Boudoire a découvert que cette microstructure capturait la lumière à la façon des yeux des papillons de nuit, capables de voir la nuit tout en restant peu
visibles pour échapper à leurs prédateurs. La comparaison a titillé l’imagination des
journalistes. "La taille des sphérules peut facilement être ajustée afin de régler la diffusion de la lumière et sa capture", indique la chercheuse. La fine couche additionnelle d’oxyde de fer sur les sphérules augmente l’efficacité des cellules.
La maîtrise de structures telles que ces sphérules enrobées est la spécialité de Rita
Tóth. "Je m’intéresse à l’auto-organisation des matériaux", précise-t-elle. Il s’agit là
d’une approche bottom-up, par opposition à la stratégie top-down utilisée par exemple dans la production de puces informatiques.
Cette seconde stratégie est souvent complexe et coûteuse, car l’agencement des
matériaux doit être conçu par ordinateur. "Dans l’approche bottom-up, nous mélangeons les ingrédient et la construction se passe spontanément", glisse-t-elle avec son art consommé de la litote.
La scientifique hongroise s’anime lorsqu’on aborde son thème favori: l’auto-organisation. "Elle se retrouve partout, depuis les volées d’oiseaux et les rayures de zèbre aux comportements sociaux des humains et à la formation des galaxies. Elle peut avoir un impact majeur dans le domaine technologique et économique." En utilisant le principe de l’auto-organisation, la chercheuse a d’ailleurs poussé des substances chimiques à trouver leur chemin dans un labyrinthe, comme par magie. Elle a utilisé de minuscules canaux pour représenter les rues du centre de Budapest
sur un dispositif de la taille d’une carte de crédit. Elle les a remplis avec un mélange
de produits chimiques alcalins et acides afin de créer un courant. Celui-ci a automatiquement aspiré un colorant dans les canaux, indiquant ainsi le chemin le plus court de l’université au marchand de pizzas. Cette étude a donné l’article le plus lu en 2014 dans Langmuir, une prestigieuse revue de chimie physique.
Une vie auto-organisée
Le principe de l’auto-organisation semble bien approprié pour décrire la carrière
scientifique de Rita Tóth. Elle a choisi l’Université de Debrecen dans l’est de la Hongrie parce qu’elle se trouvait proche de sa famille. Et lorsqu’elle a décidé d’effectuer un mémoire de master en chimie physique, elle dit avoir davantage choisi son professeur que son sujet de recherche.
Rita Tóth a ensuite rejoint un groupe de recherche au Royaume-Uni avec lequel
elle avait déjà collaboré auparavant. Lorsque est venu le moment de quitter la
Grande-Bretagne, deux options s’offraient à elle: un poste à l’Université Brandeis
aux Etats-Unis, et la Suisse où son partenaire britannique avait trouvé un emploi
dans l’industrie pharmaceutique. Le choix s’est une fois de plus fait de lui-même: "La
Suisse était plus ou moins située à mi-chemin entre nos deux familles".
Le biologiste Florian Fisch est rédacteur au FNS.