L'espace se met au low cost
Les nanosatellites pèsent un kilo, ne coûtent pas plus qu'une voiture et démocratisent l'accès à l'espace. Chercheurs et entreprises suisses sont dans le coup. Par Roland Fischer
(De "Horizons" no 112 mars 2017)
Die Les milieux spatiaux sont en ébullition: la démocratisation de l'espace s'approche rapidement, en tout cas pour l'orbite terrestre basse. De nombreuses hautes écoles développent des satellites très petits et peu chers. La commercialisation de ce type de nanosatellites est attendue dans les prochaines années.
La Suisse joue un rôle central dans ces développements. C'est notamment le cas de la start-up de l'EPFL Astrocast: avec des nanosatellites, elle veut contribuer à mettre en place un réseau couvrant le globe entier pour l'Internet des objets connectés. Cette prestation technique sera abordable en raison de la faible vitesse de transmission envisagée, seulement un kilobyte par jour. Les premiers accords commerciaux ont été signés. L'entreprise cherche désormais un partenaire en mesure d'offrir une mise en orbite bon marché. En fait, la construction de petits satellites est déjà si courante que leur envoi dans l'espace coûte dorénavant davantage que leur production.
"Low cost", c'est le mot clé de ce nouveau mouvement spatial. "Jusqu'à maintenant, les missions dans l'espace étaient réservées aux grandes agences étatiques, dit Markus Rothacher, professeur de géodésie mathématique et physique à ETH Zurich. Aujourd'hui, n'importe quelle université peut construire ses propres satellites. Il en va de même pour les petites entreprises."
GPS indépendant
Astrocast s'appuie sur le savoir-faire du Swisscube qui a été en 2009 le premier (et reste encore aujourd'hui le seul) satellite de petite taille lancé par les hautes écoles suisses. Un deuxième aurait dû suivre rapidement, mais le projet CubETH des deux écoles polytechniques fédérales peine à avancer. Il prévoit la construction d'un cube de dix centimètres de côté destiné à tester un système global de navigation par satellite (GNSS) indépendant du GPS américain. Il ne prévoit pas d'emporter un récepteur spécialement développé pour l'espace, mais un produit courant déjà disponible sur le marché. Les chercheurs examinent actuellement si les puces GNSS de l'entreprise U-Blox de Thalwil (ZH) supportent les conditions hostiles de l'espace. Des tests d'irradiation sont menés à l'Institut Paul Scherrer alors que les capteurs ont passé sans dommage l'épreuve des chambres à vide de Ruag Space.
La puce du CubETH est d'un intérêt primordial pour la mission Astrocast et sera testée lors des premiers vols en 2017. La start-up lausannoise envisage d'envoyer dans les prochaines années un total de 64 satellites en orbite basse afin de couvrir intégralement la surface de la planète. "L'objectif principal est de convaincre des utilisateurs commerciaux tels que les entreprises de transport et les fabricants de systèmes de mesure", explique son CEO Fabien Jordan. Il espère aussi que l'infrastructure attirera des scientifiques actifs dans de nombreuses disciplines allant de la météorologie à la biologie, par exemple pour rassembler automatiquement et à grande échelle des données sur les régions polaires ou les déserts. D'autres types de capteurs permettraient des applications différentes, comme un système d'alerte aux tsunamis.
Internet depuis l'espace
Michael Swartwout, de l'Université de Saint-Louis aux Etats-Unis, documente l'évolution des nanosatellites dans une banque de données en ligne. Il ne constate aucun ralentissement de la croissance depuis leur démarrage sur les chapeaux de roue en 2014. Des milliers de nanosatellites devraient rejoindre l'espace d'ici à 2020, la plupart pour les télécommunications. L'entreprise Oneweb entend déployer jusque-là une constellation de 648 satellites devant assurer un accès à Internet partout sur la planète, un projet analogue à celui du fondateur de Tesla Elon Musk. Le nom de l'entreprise qui construira les satellites de Oneweb a été annoncé en novembre. Il s'agit de Ruag. Low cost oblige, ce projet prestigieux ne pèse pas des milliards: les satellites seront construits en Suisse pour un total de 20 millions de francs, soit environ 33nbsp;000 francs pièce. Le prix d'une voiture de classe moyenne.
Roland Fischer est journaliste scientifique indépendant à Berne.