Son rêve: un paradis de béton
L’ambition de Franco Zunino, chercheur en matériaux, est de révolutionner le béton en réduisant massivement l’empreinte carbone de ce matériau de construction polyvalent par un mélange optimisé.
«La magie et la beauté du béton résident dans la transformation: fluide au départ, le matériau est coulé puis moulé pour donner naissance à un ouvrage quasi indestructible.» Et Franco Zunino de s’enthousiasmer: «Cette singularité nous permet de concrétiser toutes nos idées, même les plus folles.» Le béton caresse les nuages, brise les vagues et traverse les montagnes en serpentant. Parfois rond, parfois carré, il stocke la chaleur, protège du feu, de l’eau, des substances toxiques et des rayonnements. Associez-le à l’acier et il supportera des charges considérables. Franco Zunino en est convaincu: «Le béton a des propriétés magiques!» Dès lors, il n’est pas étonnant que ce matériau fasse toujours des adeptes. En effet, les humains ont besoin de volumes de plus en plus importants de matériaux de construction, en particulier dans des régions telles que l’Inde, l’Afrique, l’Asie du Sud-Est ou l’Amérique du Sud, qui connaissent un développement fulgurant. Ombre au tableau: la production de ce matériau miracle est extrêmement énergivore et émettrice de CO2.
Du fournil au four
Franco Zunino travaille à l’Institut des matériaux de construction de l’ETH Zurich, dans le groupe de chimie physique des matériaux de construction. Originaire du Chili, cela fait six ans qu’il œuvre en Suisse «pour l’avenir de notre planète», selon ses propres termes. Depuis 2022, ses recherches s’inscrivent dans le cadre du programme Ambizione du FNS. Ses grands-parents tenaient une boulangerie. L’odeur du pain frais, la saveur de la levure ravivent sa mémoire gustative dès la première bouchée pour le renvoyer en enfance… Voilà des sensations qu’il partage également ici, dans son impeccable laboratoire, entre les fours à haute performance et les malaxeurs. Enfant déjà, il était fasciné par la panification, un processus qu’il qualifierait presque de scientifique: dosage des ingrédients, pesée de la farine, réaction chimique dans la pâte, changement de consistance ou encore épanouissement des arômes. «Dans une recette, tout est une question de quantités. Prenez l’exemple du pain: avec une pincée de sel, il sera savoureux; mettez-en trop et il sera immangeable.» Il en va de même pour le béton: incorporés en petite quantité, les adjuvants modifient les propriétés du mélange, allongeant par exemple le temps de prise ou rendant le matériau plus souple, plus dense ou plus résistant. Mais il se peut aussi qu’ils le rendent inutilisable!
Notre spécialiste des matériaux saisit un cube de béton. Lisse et gris, il ne compte qu’une poignée de composants élémentaires: du calcaire, de l’argile, du sable, du gravier, des adjuvants et de l’eau. La première phase consiste à fabriquer le ciment – substance que les profanes confondent souvent avec le béton proprement dit – en cuisant le calcaire et l’argile, en y incorporant des adjuvants puis en broyant le mélange. En ajoutant de l’eau, on déclenche le processus de prise et de durcissement. Mélangé parfaitement, le béton est performant, sûr, résistant et facile d’entretien – un fondement, un pilier.
Si seulement il n’y avait pas ce désamour avec l’humain, un ressentiment entretenu par l’énergie consommée lors de la cuisson du ciment et les émissions de CO2 dues à la calcination du calcaire. L’industrie du béton fait ainsi partie des principaux émetteurs de gaz à effet de serre, générant jusqu’à 9% des émissions mondiales d’origine anthropique – soit près de quatre fois plus que l’ensemble du trafic aérien. Il convient néanmoins de relativiser ces chiffres, explique Franco Zunino: «D’autres matériaux de construction tels que l’acier, l’aluminium ou le verre présentent une empreinte carbone largement supérieure. C’est l’usage généralisé du béton qui est à l’origine de cette proportion colossale.» Le bois peut-il être une solution? Il semble que non: il en faudrait des quantités astronomiques: pour remplacer ne serait-ce que la moitié du béton par du bois, il faudrait planter une forêt de la taille de l’Inde… puis patienter trente ans. «L’une des principales optimisations de l’industrie du béton demeure dans le développement de ce magnifique matériau. Le potentiel est immense.»
C’est pourquoi le scientifique et son équipe comptent élaborer, au cours des quatre prochaines années, une nouvelle famille de matériaux de construction: un béton écologique. Jusqu’à 800 millions de tonnes de CO2 pourraient ainsi être économisées chaque année dans le monde, ce qui correspond à 2% des émissions mondiales d’origine humaine ou à 20 fois les émissions de la Suisse. Pour y parvenir, le groupe de recherche mise sur une double stratégie: d’une part, s’attaquer à la racine des émissions de CO2 en réduisant la part du ciment dans le liant de l’ordre de 60 à 70%. Il faut donc trouver de nouveaux adjuvants chimiques à incorporer au ciment, notamment des dispersants polymères – un élément clé de la recherche. D’autre part, il s’agit de réduire la part de liant – ciment et adjuvants – dans le béton. Ce sont ces adjuvants minéraux et non le ciment qui doivent dominer les interactions. Désormais, le défi à relever repose sur la compréhension, dans les moindres détails, de l’équilibre complexe entre la fluidité et le durcissement, afin d’obtenir des propriétés identiques malgré des compositions différentes.
Le trône du béton ne vacille pas
Franco Zunino en est convaincu: «Les aspects humains et économiques sont tout aussi importants que les aspects techniques. Le matériau doit remplir efficacement sa fonction au quotidien. Si la solution proposée fait passer le temps de prise d’un jour ou deux à sept jours, par exemple, elle ne s’imposera pas.» Par conséquent, l’équipe de recherche travaille en étroite collaboration avec un important cimentier. «Si nous réussissons, l’industrie sera en mesure d’atteindre ses objectifs en matière de CO2 et d’économiser des taxes», affirme le scientifique. Il ne croit pas, en revanche, à un matériau de construction alternatif. «Au Nigeria, il arrive que le béton soit malaxé à la main sur le bord de la route. Jamais une solution impliquant des technologies de pointe ne pourra y prendre pied!»
Le rêve de notre chercheur serait de se réveiller un matin avec, à la place du béton traditionnel, sa variante ultra-durable, sans que personne ne s’aperçoive de la substitution. «Une transformation aussi magique que celle qui s’opère dans le matériau lui-même», conclut-il en riant.
Liens
- Image pour usage éditorial. (JPEG) Légende: Franco Zunino. © FNS
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