Une organisation collective complexe chez les fourmis
Une étude sur les fourmis prédatrices, soutenue par le Fonds national suisse, explique comment de petites différences entre individus peuvent modifier l’organisation collective de la colonie.
Les colonies d'insectes sociaux sont des systèmes complexes qui parviennent pourtant à s'auto-organiser. Des scientifiques qui se sont intéressés à la structure démographique, génétique et morphologique d'une colonie de fourmis ont pu expliquer comment celle-ci affecte l'organisation collective. L'étude a été soutenue par le Fonds national suisse (FNS). Elle fait l'objet d'un article publié dans PLOS Biology (*).
C'est la fourmi clonale (Ooceraea biroi) qui a servi de modèle dans ce cas. Cette fourmi prédatrice asiatique est intéressante pour la recherche car les scientifiques peuvent facilement contrôler l'âge des individus ainsi que la composition génétique et morphologique des colonies.
Les chercheurs et chercheuses ont ainsi montré que l'organisation existant dans une colonie homogène est modifiée lorsqu'on y introduit des individus différents. "Des individus de taille différente ont augmenté la division du travail dans la colonie, tandis que des individus génétiquement différents l'ont réduite", explique Yuko Ulrich, chercheuse à l'Université de Lausanne au moment de l'étude. "En fait, chaque source d'hétérogénéité génère un modèle distinct d'organisation comportementale dans la colonie", précise-t-elle.
Qui va faire la vaisselle?
Des résultats qui ont surpris les scientifiques en allant parfois à l’encontre des théories actuelles sur les groupes sociaux. «On pense en effet que les individus agissent en fonction de leur seuil de tolérance aux stimuli», indique Yuko Ulrich. Pour expliquer ce principe, la scientifique propose un parallèle avec les humains: «Dans une famille, certains individus réagissent beaucoup plus vite que d’autres face à une pile de vaisselle sale. Ils vont donc se retrouver plus souvent que les autres à faire la vaisselle, et c’est ainsi que la division du travail se met en place.» Or, ce principe ne permet pas d’expliquer les observations des scientifiques.
Pour les expliquer, les scientifiques ont dû élargir le modèle théorique afin de prendre en compte non seulement les seuils de tolérance aux stimuli mais aussi l'efficacité de chaque individu à réaliser une tâche et la charge globale de travail dans la colonie.
Ce modèle doit encore être éprouvé, mais il ouvre déjà des pistes, relève Yuko Ulrich. Il pourrait permettre de mieux comprendre les autres systèmes biologiques complexes dans lesquels un grand nombre d'individus hétérogènes interagissent et d'en prédire le résultat collectif.
Suivi automatique des individus
Les scientifiques ont réalisé leurs essais sur 120 colonies de fourmis, homogènes ou hétérogènes, qu’ils ont élevées dans des boîtes de Petri transparentes. Afin de pouvoir observer en permanence le comportement de chaque fourmi, ils ont développé une installation de suivi automatique. "C’est la première fois qu’un tel système est mis en œuvre à une cette échelle dans une étude sur les fourmis. Sans ce type de logiciel, le suivi aurait été impossible", explique Yuko Ulrich. Chaque expérience a duré environ un mois. Environ 7000 images ont été prises pour chaque colonie.
Pour pouvoir être identifiée par le logiciel, chaque fourmi a été peinte avec une combinaison de couleurs unique. Sur la base du suivi de position de chaque individu, le logiciel a calculé un indice de division du travail dans chaque colonie. Il ne dit pas concrètement ce que fait chaque individu mais donne des indices sur son rôle. "Si une fourmi reste souvent à proximité du nid, on peut imaginer qu’elle s’occupe des larves. Une fourmi qui se déplace beaucoup sera plus probablement en charge de la recherche de nourriture", explique la scientifique.
Soutien à l’autonomie
Cette étude a bénéficié de l’instrument Ambizione du FNS. Ces subsides visent à soutenir les jeunes scientifiques qui souhaitent mener de manière autonome un projet au sein d’une haute école ou d’une institution de recherche en Suisse. La durée du financement est de maximum quatre ans.