Double knockout pour le paludisme
Le parasite du paludisme tue encore près d’un demi-million de personnes par an. Un projet du FNS vient d’identifier un gène qui laisse entrevoir la possibilité d’un vaccin vivant efficace et sûr.
« Dans l’histoire de l’humanité, aucune maladie ne semble avoir coûté autant de vies humaines que le paludisme », indique le biologiste cellulaire Volker Heussler, soutenu par le FNS. Même si le nombre de décès dus à la maladie transmise par les moustiques a baissé au cours des dernières décennies, plus de 400 000 personnes en meurent encore chaque année et plus de 200 millions de personnes contractent la maladie.
Des mesures telles que le traitement des murs et moustiquaires à l’aide d’insecticide permettent certes d’endiguer la maladie. « Mais pour éradiquer définitivement le paludisme, il faudrait également une protection vaccinale efficace et durable », explique Volker Heussler, à la tête de l’Institut de biologie cellulaire de l’Université de Berne. Et c’est précisément ce qui fait défaut aux vaccins existants. L’encouragement du FNS a permis à l’équipe de Volker Heussler d’adopter une nouvelle approche et d’identifier un gène du parasite du paludisme faisant progresser la recherche vers une immunisation efficace.
Coup d’arrêt au foie
La difficulté de la chose s’explique notamment par le cycle de vie complexe du parasite Plasmodium falciparum. Le protozoaire pénètre dans le sang humain par une piqûre de moustique et migre rapidement vers les cellules hépatiques, où il se multiplie durant quelques jours. Plusieurs dizaines de milliers de parasites sont ensuite libérés dans le sang, où ils s’attaquent aux globules rouges, provoquant ainsi les poussées de fièvre tant redoutées. Les vaccins actuellement autorisés consistent en une seule protéine du parasite qui n’active qu’un nombre limité de cellules immunitaires. La vaccination génère une protection tout au plus chez 70 % des personnes vaccinées et dure environ un an sans rappel, avant que le titre d’anticorps ne commence à baisser. « C’est évidemment mieux que rien, mais c’est loin d’être optimal », souligne Volker Heussler.
C’est pourquoi son équipe et d’autres groupes de recherche suivent désormais une nouvelle voie : un vaccin renfermant un parasite complet, mais atténué. Ce dernier offre beaucoup plus de cibles pour le système immunitaire. De tels vaccins vivants servent déjà à combattre efficacement des maladies infectieuses virales, comme la rougeole. Considérés comme sûrs, ils ont peu d’effets secondaires. Une atténuation du parasite du paludisme par irradiation avait déjà été testée, mais cette approche souffre d’un manque de précision. Les chercheuses et chercheurs ont donc tenté de freiner le protozoaire par des modifications génétiques ciblées, de manière à ce qu’il n’atteigne que le foie et ne soit pas libéré dans le sang. Il lui est ainsi impossible de déclencher le paludisme.
Autre avantage de cette approche : le parasite reste plusieurs jours dans le foie. Des conditions idéales pour une pleine stimulation du système immunitaire et la formation de cellules mémoires, comme l’ont montré de précédentes études. « L’infection des cellules hépatiques est un goulot d’étranglement où il est possible d’attraper le parasite et de l’éliminer », explique Volker Heussler. Les chercheuses et chercheurs ont donc procédé à un criblage à grande échelle pour rechercher des gènes dont la perte ne tuerait pas l’agent pathogène, mais l’arrêterait dans la phase hépatique. Pour ce faire, ils ont testé 1500 variantes du parasite, dans lesquelles un gène différent avait été mis K.O. à chaque fois. Pour ces études, ils ont travaillé avec le protozoaire Plasmodium berghei, étroitement apparenté au Plasmodium falciparum, mais qui infecte des souris et non des êtres humains.
Des percées extrêmement dangereuses
Comme ils l’espéraient, les chercheuses et chercheurs ont trouvé un parasite génétiquement modifié présentant les propriétés requises : il a atteint le foie et s’y est multiplié, mais n’a ensuite pas été libéré dans le sang. Cet agent pathogène altéré serait donc un bon candidat pour une immunisation efficace. Volker Heussler estime toutefois que la prudence est de mise : « Dans le cas d’une vaccination administrée à des millions de personnes, il faut veiller à ce que le parasite atténué ne passe pas dans le sang dans certains cas et déclenche le paludisme. » Cela pourrait par exemple se produire s’il existe dans le protozoaire concerné une alternative rarement utilisée ou peu efficace à la voie métabolique bloquée.
Pour éviter de telles percées dévastatrices, il faudrait donc idéalement un parasite plusieurs fois affaibli – comptant donc au moins deux gènes mis K.O., affectant par ailleurs différentes voies métaboliques. Volker Heussler a pu produire et tester un double knockout de ce genre: en plus du nouveau gène découvert par son groupe, il a désactivé un autre gène chez l’agent pathogène. Identifié par un groupe de recherche américain, ce gène bloque également le parasite au stade hépatique.
Les premiers essais avec le parasite doublement affaibli ont donné des résultats très prometteurs : les souris vaccinées de la sorte sont totalement protégées contre le paludisme et ne sont pas tombées malades suite à la vaccination, même avec une très forte dose administrée. Volker Heussler espère désormais que ces résultats pourront être appliqués au parasite humain Plasmodium falciparum. Or, il reste encore un long chemin à parcourir avant d’obtenir un vaccin vraiment sûr. Il se pourrait même qu’un triple knockout soit nécessaire. « Car si des percées avaient tout de même lieu, le nouveau vaccin serait tout de suite enterré. »
- Image pour usage éditorial. Légende: L'image montre comment une équipe de scientifiques, accompagnés de personnel médical et technique, prépare des tests de diagnostic rapide et des échantillons de sang pour déterminer les stades de développement du Plasmodium falciparum, le parasite du paludisme. © CC-BY-NC-ND / Lorenz Hofer
- Le projet sur le portail de données du FNS