Le dilemme éthique de la psychiatrie forensique
Traiter et rendre compte à la justice. Comment les psychiatres en charge des traitements ordonnés par la justice font-ils face à cette situation ?
Le traitement des personnes pour lesquelles un tribunal a ordonné une mesure thérapeutique au sens des articles 59 à 64 du Code pénal entraîne un conflit de loyauté parmi les professionnel·les de la santé. Une étude(*) financée par le FNS vient d’examiner la façon dont ceux-ci y font face dans la pratique.
Près d’un millier de personnes en Suisse sont soumises à un traitement psychiatrique ordonné (chiffre de 2019). La durée de la restriction de liberté dépend, en dernier ressort, du résultat de cette mesure. Les professionnel·les qui interviennent (psychiatres forensiques, psychologues et personnel infirmier) sont par conséquent pris dans une relation triangulaire : d’une part, ils doivent dispenser aux personnes qui leur sont confiées le meilleur traitement possible et, d’autre part, ils doivent rendre compte à la justice des effets du traitement en termes de réduction du risque et des possibilités d’élargissement du milieu fermé vers le milieu ouvert et l’ambulatoire, puis de levée de la mesure.
L’Institut de bioéthique et d’éthique médicale (IBMB) de l’Université de Bâle vient d’interroger pour la première fois, dans le cadre d’une étude qualitative menée dans toute la Suisse, une trentaine de ces professionnel·les sur leur double rôle : où se situent-ils dans cette relation complexe entre la justice et les personnes soumises à une mesure thérapeutique ? Comment s’y prennent-ils pour résoudre leur dilemme éthique dans la pratique quotidienne ? Cette étude s’inscrivait dans le cadre du projet interdisciplinaire du FNS « Vieillir en prison », dirigée par la médecin et théologienne Bernice Elger.
Une confidentialité limitée
Comme le montrent les entretiens, les professionnel·les ont conscience du problème et, dans leur grande majorité, se placent à mi-chemin entre les parties. Tous décrivent également des approches de solutions similaires malgré des différences considérables entre les cantons dans l’organisation des traitements ordonnés, par ex. concernant le placement des patient·es en établissement pénitentiaire ou en clinique psychiatrique ou concernant l’embauche des psychiatres et psychologues traitants par le département de la justice ou de la santé.
« La transparence dans la communication entre toutes les parties paraît incontestablement importante », souligne Bernice Elger. Celle-ci peut être instaurée, par exemple, en donnant aux patient·es un droit de regard sur les rapports transmis à la justice. On peut aussi indiquer clairement à l’avance aux patient·es quels détails d’ordre personnel peuvent être transmis à la justice et quels autres n’ont pas à l’être. Sur le principe, de nombreux soignant·es considèrent comme particulièrement préoccupant le fait de ne pouvoir garantir aux personnes traitées qu’une confidentialité limitée parce qu’ils doivent rendre des comptes à la justice. Ils craignent que cette restriction ne compromette le lien de confiance instauré avec le patient et, par conséquent, les résultats thérapeutiques.
« Malheureusement, il n’existe pour l’instant en Suisse aucune directive contraignante permettant de résoudre de tels conflits éthiques », déplore Bernice Elger. « Les informations recueillies au cours de l’étude constitueront peut-être la base de l’élaboration de directives communes. » Mais la tâche pourrait bien s’avérer très difficile car il n’existe pas d’unité de doctrine ou de pratique à l’échelle de la Suisse pour le traitement des personnes souffrant de troubles mentaux et soumises à une mesure.